GENESE DE L’ART ROMAN
« C’était comme si le monde lui-même se fut secoué et, dépouillant
sa vétusté, eût revêtu de toutes parts une blanche robe d’églises » :
cette citation du moine Raoul Glaber (chroniques rédigées à partir de 1031
à Cluny, citée in CH 904) illustre bien la mutation étonnante du monde
médiéval entre le Xe et le XIIIe siècles.
Elle est le fait de la nature (adoucissement considérable du climat) et
des hommes à la fois, et surtout d’hommes à la foi prosélyte : un
renouveau religieux qui va de pair avec un accroissement de la population,
un regroupement de celle-ci autour des églises qui surgissent un peu partout,
le culte des reliques (développé sous l’influence de moines venus de l’ouest
de la France fuyant les invasions normandes, fin IXe-début Xe), la pratique
des pèlerinages (qui nécessitent des églises plus grandes).
On voit alors apparaitre des collégiales, des abbayes, des prieurés, de
simples églises. Des religieux visionnaires fondent des Ordres qui vont
avoir une influence sur toute l’Europe, tant sur le plan de la foi que
sur la conception des sanctuaires qui leur sont rattachés. Deux Ordres
majeurs : Cluny, fondé en 909 par Guillaume le Pieux, adoptant la
règle de St Benoit (spiritualité, art, humanisme), et Citeaux, fondé en
1098 par Robert de Molesmes et adoptant en 1115 (abbaye de Clairvaux) la
règle de St Bernard (travail manuel, austérité, silence, méditation) en
réaction aux excès de magnificence de Cluny. Il y en aura d’autres :
les Prémontrés, les Chartreux, les Franciscains, etc, et, bien sûr, l’Ordre
des Templiers (1129).
Comment en est-on arrivé à ce que nous appelons aujourd’hui (depuis une
expression utilisée par l’archéologue Charles de Gerville en 1818) « l’art
roman » : un art tout en symboles destinés autant à magnifier
la demeure de Dieu qu’est l’église qu’à transmettre un message spirituel.
Des symboles qu’on retrouve en Auvergne comme en Bourgogne ou en Provence,
chaque région ayant développé ses propres représentations. Il y a une sorte
d’inspiration commune, il y a la pensée chrétienne en tout et partout,
et surtout l’influence prépondérante de Cluny.
La symbolique est l’affaire des moines et des grands hommes d’église :
ce sont eux les commanditaires, et ils sont aussi les artistes et les architectes
– ils détiennent le savoir. Petit à petit, l’architecte, souvent anonyme,
interviendra es qualités en suivant les instructions de ses commanditaires,
en tous cas pour les plus grands édifices. La petite église de village
sera, elle, confiée à une équipe de maçons-tailleurs de pierres, aidés
par la population locale ; ils auront quelquefois le privilège de
profiter des lumières d’un artisan venu d’ailleurs avec son expérience
vécue sur un chantier plus prestigieux. On pourra ainsi parler d’ « ateliers »
(Cluny, Mozac, Mauriac…) propageant leur savoir, leurs techniques, leur
art, d’un bout à l’autre de la région.
DEVELOPPEMENT DE L’ART ROMAN
Le premier art roman est méridional (Durliat, DL
bibliographie
) : on en trouve des marques en Catalogne et en Italie du Nord avant
qu’il n’apparaisse dans la vallée du Rhône, en Bourgogne, en Auvergne,
en Limousin (bandes lombardes, niches sous corniches, damiers, modillons
à copeaux …).
Le « plan basilical » d’origine (nef rectangulaire et chevet)
va être augmenté d’un transept d’abord réduit. Puis la voûte va remplacer
la charpente, on y gagne en esthétique et en sonorité (et cela implique
une considérable transformation des méthodes de travail). Les doubleaux
vont conforter la voûte et permettre l’ouverture des travées et des bas-côtés.
L’espace intérieur s’en trouve modifié, et les chapiteaux vont naturellement
trouver leur place comme points d’appui et lieu d’ornementation-message.
La croisée du transept va recevoir une coupole et le clocher, les plus
grandes églises, lieux de pèlerinages, vont connaitre le déambulatoire.
A la fin du XIe siècle, l’art roman a maitrisé ses techniques, affiné son
style.
L’architecte et le sculpteur vont donner leur style à l’ornementation. Sur l’espace fractionné des chapiteaux, de configuration malaisée, le plus souvent très en hauteur, ils vont développer une iconographie symbolique à partir des Ecritures, de la vie des Saints ou celle du Christ. Leurs figures : un bestiaire incroyablement diversifié, où chaque animal est considéré pour un point de son caractère physique, accentué, exagéré, déformé, pour une interprétation plus évidente ; des hommes et des femmes, le plus souvent en flagrant péché ; des signes ou des nombres (boules, rosaces, étoiles, dont le nombre ou le nombre de branches a une signification) ; des monstres, destinés à souligner les défauts ou les vices de l’humanité, ou la menace du Mal sur l’Humanité. Mais il s’agit toujours de la lutte du Bien contre le Mal, de la Vie contre la Mort. On trouvera aussi des éléments de décor (feuillages, palmettes, rinceaux, damiers)
Plus tard, avec les cisterciens, pour lesquels le moine n’a pas besoin
de l’art pour ses dévotions et n’a que faire de toutes ces représentations,
l’architecture se réduit à des constructions répondant strictement à leurs
besoins matériels ou spirituels (épuration des plans, lignes droites) :
c’est la négation de la démarche artistique romane (Beaulieu, Corrèze). Mais
les moines ne sont pas les évêques : ce sont les évêques qui auront
la responsabilité des innovations architecturales, et avec eux, ce sera
la naissance du gothique et ses grandioses édifices. Le roman survivra
un temps en compétition avec le gothique (tympans ou portails historiés
de Bourgogne, Brioude), ce qui donnera des églises dites de "transition".